Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/127

Cette page n’a pas encore été corrigée

l’ambassade sans lui avoir fait ses adieux et sans la consulter sur ses projets particuliers, auxquels, disait-il, il ne mettrait jamais d’opposition.

Il alla se coucher, heureux d’être débarrassé de sa dette et de sa femme.

Valentine, en se retrouvant seule le soir, réfléchit enfin avec calme aux événements de ces trois jours. Jusque-là, l’épouvante l’avait rendue incapable de raisonner sa position ; maintenant que tout s’était arrangé à l’amiable, elle pouvait y reporter un regard lucide. Mais ce ne fut pas la démarche irréparable qu’elle avait faite en donnant sa signature qui l’occupa un seul instant ; elle ne put trouver dans son âme que le sentiment d’une consternation profonde, en songeant qu’elle était perdue sans retour dans l’opinion de son mari. Cette humiliation lui était si douloureuse qu’elle absorbait tout autre sentiment.

Espérant trouver un peu de calme dans la prière, elle s’enferma dans son oratoire ; mais alors, habituée qu’elle était à mêler le souvenir de Bénédict à toutes ses aspirations vers le ciel, elle fut effrayée de ne plus trouver cette image aussi pure au fond de ses pensées. Le souvenir de la nuit précédente, de cet entretien orageux dont chaque parole, entendue sans doute par M. de Lansac, faisait monter la rougeur au front de Valentine, la sensation de ce baiser, qui était restée cuisante sur ses lèvres, ses terreurs, ses remords, ses agitations, en se retraçant les moindres détails de cette scène, tout l’avertissait qu’il était temps de retourner en arrière, si elle ne voulait tomber dans un abîme. Jusque-là le sentiment audacieux de sa force l’avait soutenue, mais un instant avait suffi pour lui montrer combien la volonté humaine est fragile. Quinze mois d’abandon et de confiance n’avaient pas rendu Bénédict tellement stoïque qu’un instant n’eût détruit le fruit de ces vertus péniblement acquises, lentement amassées, témérairement vantées. Valentine ne pouvait pas se le dissimuler, l’amour qu’elle inspirait n’était pas celui des anges pour le Seigneur ; c’était un amour terrestre, passionné, impétueux, un orage prêt à tout renverser.

Elle ne fut pas plus tôt descendue ainsi dans les replis de sa conscience, que son ancienne piété, rigide, positive et terrible, vint la tourmenter de repentirs et de frayeurs. Toute la nuit se passa dans ces angoisses, elle essaya vainement de dormir. Enfin, vers le jour, exaltée par ses souffrances, elle s’abandonna à un projet romanesque et sublime, qui a tenté plus d’une jeune femme au moment de commettre sa première faute : elle résolut de voir son mari et d’implorer son appui.

Effrayée de ce qu’elle allait faire, à peine fut-elle habillée et prête à sortir de sa chambre qu’elle y renonça ; puis elle y revint, recula encore, et après un quart d’heure d’hésitations et de tourments, elle se détermina à descendre au salon et à faire demander M. de Lansac.

Il était à peine cinq heures du matin ; le comte avait espéré quitter le château avant que sa femme fût éveillée. Il se flattait d’échapper ainsi à l’ennui de nouveaux adieux et de nouvelles dissimulations. L’idée de cette entrevue le contraria donc vivement, mais il n’était aucun moyen convenable de s’y soustraire. Il s’y rendit, un peu tourmenté de n’en pouvoir deviner l’objet.

L’attention avec laquelle Valentine ferma les portes, afin de n’être entendue de personne, et l’altération de ses traits et de sa voix, achevèrent d’impatienter M. de Lansac, qui ne se sentait pas le temps d’essuyer une scène de sensibilité. Malgré lui, ses mobiles sourcils se contractèrent, et quand Valentine essaya de prendre la parole, elle trouva dans sa physionomie quelque chose de si glacial et de si repoussant qu’elle resta devant lui muette et anéantie.

Quelques mots polis de son mari lui firent sentir qu’il s’ennuyait d’attendre ; alors elle fit un effort violent pour parler, mais elle ne