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Blutty, Athénaïs avait une main dans celle de son mari, et chaque regard énergique du fermier couvrait de rougeur les belles joues de la fermière.

Mais le récit de cette catastrophe réveilla l’orage assoupi. Athénaïs jeta des cris perçants, il fallut l’emporter de la salle. Le lendemain, dès qu’elle eut appris que Bénédict n’était point mort, elle voulut aller le voir. Blutty comprit que ce n’était pas le moment de la contrarier, d’autant plus que son père et sa mère lui donnaient l’exemple et couraient auprès du moribond. Il pensa qu’il ferait bien d’y aller lui-même, et de montrer ainsi à sa nouvelle famille qu’il était disposé à déférer à leurs intentions. Cette marque de soumission ne pouvait pas compromettre sa fierté auprès de Bénédict, puisque celui-ci était hors d’état de le reconnaître.

Il accompagna donc Athénaïs, et quoique son intérêt ne fût pas fort sincère, il se conduisit assez convenablement pour mériter de sa part une mention honorable. Le soir, malgré la résistance de sa fille, qui voulait passer la nuit auprès du malade, madame Lhéry lui ordonna de se mettre en route avec son mari. Tête à tête dans la carriole, les deux époux se boudèrent d’abord, et puis Pierre Blutty changea de tactique. Au lieu de paraître choqué des pleurs que sa femme donnait au cousin, il se mit à déplorer avec elle le malheur de Bénédict et à faire l’oraison funèbre du mourant. Athénaïs ne s’attendait point à tant de générosité ; elle tendit la main à son mari, et se rapprochant de lui :

— Pierre, lui dit-elle, vous avez un bon cœur ; je tâcherai de vous aimer comme vous le méritez.

Quand Blutty vit que Bénédict ne mourait point, il souffrit un peu plus des visites de sa femme à la chaumière du ravin, cependant il n’en témoigna rien ; mais quand Bénédict fut assez fort pour se lever et marcher, il sentit sa haine pour lui se réveiller, et il jugea qu’il était temps d’user de son autorité. Il était dans son droit, comme disent les paysans avec tant de finesse, lorsqu’ils peuvent mettre l’appui des lois au-dessus de la conscience. Bénédict n’avait plus besoin des soins de sa cousine, et l’intérêt qu’elle lui marquait ne pouvait plus que la compromettre. En déduisant ces raisons à sa femme, Blutty mit dans son regard et dans sa voix quelque chose d’énergique qu’elle ne connaissait pas encore, et qui lui fit comprendre admirablement que le moment était venu d’obéir.

Elle fut triste pendant quelques jours, et puis elle en prit son parti ; car si Pierre Blutty commençait à faire le mari à certains égards, sous tous les autres il était demeuré amant passionné ; et cela fut un exemple de la différence du préjugé dans les diverses classes de la société. Un homme de qualité et un bourgeois se fussent trouvés également compromis par l’amour de leur femme pour un autre. Ce fait avéré, ils n’eussent pas recherché Athénaïs en mariage, l’opinion les eut flétris ; eussent-ils été trompés, le ridicule les eût poursuivis. Tout au contraire, la manière savante et hardie dont Blutty conduisit toute cette affaire lui fit le plus grand honneur parmi ses pareils.

— Voyez Pierre Blutty, se disaient-ils lorsqu’ils voulaient citer un homme de résolution. Il a épousé une petite femme bien coquette, bien revêche, qui ne se cachait guère d’en aimer un autre, et qui, le jour de ses noces, a fait un scandale pour se séparer de lui. Eh bien, il ne s’est pas rebuté ; il est venu à bout, non-seulement de se faire obéir, mais de se faire aimer. C’est là un garçon qui s’y entend. Il n’y a pas de danger qu’on se moque de lui.

Et, à l’exemple de Pierre Blutty, chaque garçon du pays se promettait bien de ne jamais prendre au sérieux les premières rigueurs d’une femme.



XXVII.

Valentine avait fait plus d’une visite à la maisonnette du ravin : d’abord sa présence avait calmé l’irritation de Bénédict ; mais dès qu’il eut repris ses forces, comme elle cessa de le voir, son amour, à lui, redevint âpre et cuisant ; sa situation lui sembla insupportable ; il fallut que Louise consentît à le mener quelquefois le soir avec elle au pavillon du parc. Dominée entièrement par lui, la faible Louise éprouvait de profonds remords, et ne savait comment excuser son imprudence aux yeux de Valentine. De son côté, celle-ci s’abandonnait à des dangers dont elle n’était pas trop fâchée de voir sa sœur complice. Elle se laissait emporter par sa destinée, sans vouloir regarder en avant, et puisait dans l’imprévoyance de Louise des excuses pour sa propre faiblesse.

Valentine n’était point née passionnée, mais la fatalité semblait se plaire à la jeter dans une situation d’exception, et à l’entourer de périls au-dessus de ses forces. L’amour a causé beaucoup de suicides, mais il est douteux que beaucoup de femmes aient vu à leurs pieds l’homme qui s’était brûlé la cervelle pour elles. Pût-on ressusciter les morts, sans doute la générosité féminine accorderait beaucoup de pardons à des dévouements si énergiques ; et si rien n’est