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une chaîne d’un sérieux effrayant. Mon imagination a rêvé d’autres types que celui de cette fille trop parfaite pour moi. Les légères créatures qui égaient nos loisirs d’étudiants ont un charme funeste pour notre précoce dépravation, c’est d’être faciles et de nous laisser libres. Nous n’avons rien à faire pour les mériter, et rien à perdre à ne pas les conserver. D’autres sont tout à fait vénales, et, voulant se faire payer cher, ont l’art d’enflammer le désir par une feinte résistance. Celles-là sont plus dangereuses encore, elles usent le cerveau et entament la raison. J’ai su les fuir à temps, mais pas assez vite cependant pour qu’elles n’aient pas altéré en moi la source des émotions saines. Enfin, que veux-tu que je te dise ? J’ai été un peu corrompu, tu m’as donné trop d’argent. Enfant gâté, je ne me suis pas noyé, comme le cousin Jacques, dans les ivresses de Paris, mais j’ai perdu le goût du simple et l’amour du droit chemin : j’ai mis trop de fleurs artificielles dans mon jardin d’amour. La vierge byzantine au front sévère m’a paru trop triste et trop froide pour mon musée ; j’y ai mis des femmes de Gavarni, et à présent Émilie m’intimide. Je ne sais plus lui parler, je n’ose pas la regarder. Je crois que je ne saurai plus me faire aimer. Veux-tu que je te dise tout, que je te confesse une chose vraiment honteuse ? Hier, en la croyant infidèle, j’ai été glacé d’abord,