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gageai dans les chemins sableux et ombragés qui conduisent à Champgousse.

Je faisais mon thème, mais, comme dans les conseils à donner il faut tenir compte du caractère et du tempérament des personnes plus que des faits et de la situation, je repassais dans mon esprit les antécédents, les qualités et les défauts de mon neveu Jacques Ormonde. Fils de ma sœur, qui était la plus belle femme du pays, Jacques avait été le plus bel enfant du monde, et, comme il avait la bonté, qui est compagne de la force, nous l’adorions tous ; mais c’est un malheur pour un homme que d’être trop beau et de se l’entendre dire. L’enfant fut paresseux et l’adolescent devint fat. Quelle plus douce chose, à cet âge où l’on rêve l’amour, que de lire un accueil hardi ou craintif, ému en tous les cas, dans les yeux de toutes les femmes ? Jacques eut de précoces succès ; sa force herculéenne ne s’en ressentait pas trop, mais sa force intellectuelle succomba à ce raisonnement captieux : si, sans cultiver mon être moral, j’arrive d’emblée aux triomphes qui sont le but fiévreux de la jeunesse, qu’ai-je besoin de perdre mon temps et ma peine à m’instruire ?

Aussi ne s’instruisit-il pas, et c’est tout au plus s’il parvint à apprendre sa langue. Il avait de l’esprit naturel et cette sorte de facilité qui consiste à s’assimiler le dessus du panier sans se