Page:Sand - Tour de Percemont.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sion de ma vie, condamné à n’en point profiter ! Ce fut une honte et un supplice ; cependant mademoiselle de Nives m’aida à me contenir par l’ignorance absolue où elle était de mes agitations. C’est une singulière fille, allez ! hardie comme un page, courageuse comme un lion, innocente comme un petit enfant. Pas un brin de coquetterie, et pourtant une irrésistible séduction dans sa franchise et sa simplicité. Elle a lu, dans le vieux château de son père, des romans de chevalerie, je crois bien qu’elle n’a jamais lu autre chose, et elle s’est toujours imaginé que tout honnête homme était facilement et naturellement un parfait chevalier des anciens temps. Elle croit que la chasteté est aussi facile aux autres qu’à elle-même. Je la connus jusqu’au fond du cœur en deux heures de conversation, et plus je me sentis amoureux, plus il me fut impossible de le lui dire. Je ne pus que protester de mon dévoûment et de ma soumission ; mais d’amour et de mariage, je vis bien qu’il n’en fallait pas lâcher un mot.

» Dès que le train fut assez lancé pour qu’elle ne pût songer à me quitter, je voulus lui dire la vérité, et je lui racontai ma scène avec la Charliette.

» — Quand j’ai vu, ajoutai-je, que cette femme voulait m’exploiter, j’ai perdu toute confiance en elle. J’ai craint que, ne pouvant vous