Page:Sand - Theatre de Nohant.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
BACTIS.

Oui, Carion, je travaille, parce que je ne suis pas né esclave.

CARION.

Je ne t’entends pas ! Que tu sois né esclave de père et de mère, ou que, d’homme libre, tu sois devenu captif, le travail est toujours aussi fâcheux à l’homme que la paille au poisson.

BACTIS.

L’esclave issu de l’esclave n’a guère l’espérance de se racheter ; il est habitué aux coups, aux menaces, aux injures. Celui qui fut libre aspire toujours à revoir sa patrie, et sa fierté le soutient dans les épreuves.

CARION.

C’est-à-dire, pour te soustraire à l’outrage du fouet, tu fais bravement ta corvée ? Chacun son goût ! Les maîtres se lassent quelquefois de battre, ils ne se lassent jamais de faire travailler. D’ailleurs, nous autres, n’avons-nous pas un patron fort doux ?

BACTIS.

Chrémyle est un homme juste ; raison de plus pour le bien servir.

CARION.

Moi, je dis que c’est un fou, et qu’il faut profiter de sa crédulité. Il s’épuise en sacrifices, espérant que les dieux lui enverront la richesse. Et cependant ses champs, au lieu de blé, se couvrent de chardons, de smilax et de lentisques.

BACTIS.

La terre est bonne et la moisson est pauvre ! — Les laboureurs sont découragés, parce qu’ils ne cherchent pas la richesse où elle est.

CARION.

Saurais-tu donc la trouver, toi ? As-tu découvert, ici près, quelque nouvelle mine d’argent ?

BACTIS.

Non ; mais les vrais biens que les dieux aimeraient à donner, c’est la sagesse et la vertu, et ceux-là, les hommes ne les demandent point.