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ACTE TROISIÈME





Scène I

LE DRAC, seul.
Il fait nuit. Bruit du vent et de la mer. Pas de lampe allumée.

Lugubre nuit, tu faisais les délices du drac aux ailes puissantes ! Il aimait à se laisser bercer par l’orage, à jouer avec les formes capricieuses que l’écume dessine au front des vagues. Son regard était un météore, sa voix une harmonie, son haleine un parfum, sa pensée une extase ! Et voilà que, faible et petit, abandonné de ses frères, haï des hommes, il subit une passion fatale ! Ô roi des elfes, souverain des grottes profondes, père des libres esprits de la mer, aie pitié du malheureux qui t’implore ! Rends-lui sa forme éthérée, rends-lui son vol infatigable, rends-lui la sérénité de son âme immortelle ! Délivre-le de ce corps chétif où son essence divine est enfermée dans une prison !… Mais il ne m’écoute pas, il ne peut plus m’entendre ! Je ne sais plus la langue mystérieuse qui plane sur les flots d’un horizon à l’autre. Ma voix ne dépasse plus les murs de cette cabane, et, quand je crie sur le rivage, la plus petite vague parle plus haut et mieux que moi. Ô tourment de l’impuissance ! horreur des ténèbres ! ma vue ne perce plus le voile des nuits brumeuses, l’étoile ne me sourit plus derrière le nuage, et, si j’aperçois encore quelques esprits emportés dans la rafale, leur gaieté me consterne et leur face pâle me fait peur !… Ah ! de la lumière !…