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honneur par des vues indignes de moi. Notre couvent n’est point cloitré, il a mille prétextes pour s’y faire recevoir. La communauté le redoute et le flatte. Ma tante le ménage parce qu’il feint auprès d’elle de me vouloir épouser. Mais il ne le veut point, et, le voulût-il, je préférerais l’esclavage et la misère à l’horreur de lui appartenir.

MARIELLE.

C’est un vieillard, sans doute ? SYLVIE. Non, ce n’est point un vieillard, c’est un jeune débauché d’humeur violente et tyrannique. Je le hais, je le veux éviter. Vous voyez, le cloître même n’est point un refuge sacré pour la dignité d’une fille sans fortune et sans famille. Il faut, que je quitte ce couvent, et cette ville, et ce pays. J’y suis résolue, je ne rentrerai point ce soir. Mais où irai-je avec cet habit et sans aucune ressource ? Vous m’avez dit que je devais me soutenir par mon travail, vous m’avez jugé bonne actrice, emmenez-moi, ou je suis désespérée !

MARIELLE, tremblant.

Vous emmener ? Une personne comme vous au théâtre ? Savez-vous ce que vous me demandez ?

SYLVIE.

Une personne comme moi ne craint point la séduction ; elle ne craint guère non plus la violence, parce que, plutôt que de souffrir la violence, elle saurait se donner la mort. Mais sa fierté se trouve comme ravalée et flétrie par l’outrage de certaines assiduités ; s’il faut qu’elle les endure avec patience, elle prend la vie en dégoût !… Ne suis-je donc point, digne de respirer la vie, l’honneur, la liberté ? Ne vous sentez-vous point capable de m’assurer ces biens, auxquels le plus pauvre a des droits ? ne disiez-vous point ce que vous pensiez tout à l’heure, quand vous formiez le souhait de me servir et de, me protéger ? Voyons, monsieur Marielle, vous me pouvez sauver ; me voulez-vous abandonner aux hasards d’une triste destinée ?