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monde ! J’aime les beaux vers, moi, et, si les acteurs arrivent à les bien dire, nos dialogues à l’impromptu ne seront point regrettables.

MARIELLE.

J’ignore si jamais un homme pourra rendre la pensée d’un autre avec autant de feu et d’à-propos que la sienne propre ; mais, quoi qu’il en arrive, songez à ce que deviendra la liberté du théâtre, quand nous n’y aurons plus le droit de dire la vérité aux rois comme aux peuples, tous malheureux qui ne rient guère si l’on ne les chatouille adroitement. Songez que notre babil improvisé échappe à toute censure, et que nul ne peut prévoir et empêcher nos traits de critique. Quand nous montrons au peuple ses ridicules et ses vices sous l’aspect de Brighelle, du Mezzetin, de Pascariel ou de Pierrot, il le supporte et s’en réjouit. Mais que Pantalon, le Docteur, le Capitan et le Trufaldin ne soient plus soufferts à personnifier les travers et les malices de la richesse, de la science, de la noblesse et de l’épée, les puissances seront à l’abri de tout contrôle, et le pauvre monde endurera seul sa propre satire.

ERGASTE.

Eh ! morbleu ! Marielle a raison. C’est là ce qui relève notre profession, c’est ce qui fait que nous sommes quasi tous lettrés, gentilshommes ou gens de guerre ; quand le comédien ne sera plus qu’une machine à réciter les tirades des auteurs, le premier ignorant venu, pour peu qu’il ait la voix forte et et le jarret solide, sera propre aux premiers emplois du théâtre. Çà, travaillons ; faisons connaître à ces Français qui nous sommes. Voyons cette comédie, Marielle !

(Mariette déroule le manuscrit.)
FLORIMOND.

Mais votre Fabio nous serait nécessaire, et il n’est point céans ?

ERGASTE.

Il a été faire quelques achats. Il va rentrer ;