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elle m’a fait franchir les abîmes de l’espace. Heureux et confiant comme dans un rêve, je me suis trouvé tout à coup sur un navire, au milieu du tumulte d’un combat, non loin des îles Arginuses, dont les pâles récifs percent les eaux bleues de la mer Egée. J’ai combattu avec transport ; je songeais à toi, Myrto ! Nous avons vaincu et repoussé l’ennemi, quelques-unes de nos trirèmes ont même réussi à lui arracher nos blessés et nos morts. Comme nous achevions de rendre à ceux-ci les honneurs funèbres, j’ai vu qu’avec une flèche trempée dans leur noble sang, on écrivait mon nom sur une voile, parmi ceux des plus braves Athéniens. Alors, cédant à la fatigue, je m’appuyai contre un mât, je fermai les yeux, je prononçai ton nom chéri… Il me semble qu’il n’y a qu’un instant, car mes yeux à peine clos se sont rouverts près d’ici, et j’ai vu à mes côtés celle qui protège et bénit nos amours.

MYRTO.

N’as-tu pas rêvé tout cela, Bactis ? Je ne puis croire… dieu ! qu’as-tu donc là ? Du sang, une blessure ?

BACTIS, souriant.

C’est la preuve que je n’ai pas rêvé, Myrto.

MYRTO.

Ô le plus vaillant et le plus aimé des mortels, reste avec moi toujours ! Si tu dois être encore notre esclave, ne me préfère ni la douceur d’être libre, ni la gloire des combats. Ne permets plus que les déesses t’enlèvent d’auprès de moi ! Ai-je besoin que ton nom soit inscrit sur un drapeau, ou qu’il soit gravé sur le bronze, pour savoir que ton cœur est fier et ton bras invincible ? Bactis, ne t’en va plus, car un jour de plus j’étais morte, et tu aurais vu mon ombre désolée marcher à tes côtés dans la nuit, ou gémir à ton chevet jusqu’au retour du matin.

BACTIS.

Fille adorée, espère encore. À qui fait son devoir, le Destin daigne sourire. Mais voici ton père… tout éperdu ! Que lui est-il donc arrivé ?