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CHRÉMYLE.

Eh bien ! … je veux parler le premier, et je lui dirai de telles vérités, qu’elle n’osera pas répliquer un seul mot !

LA PAUVRETÉ.

Va, je t’écoute.

CHRÉMYLE, important et naïf.

Faites bien attention à ce que je vais lui dire ! — À voir la manière dont les choses sont arrangées en ce monde, ne reconnaîtras-tu pas que la vie est une fureur ou plutôt une rage ? La plupart des scélérats sont dans l’opulence, et la plupart des honnêtes gens sont à plaindre, manquent de pain, et passent leurs jours en ta compagnie ! Si Plutus que voici (il le salue), au lieu de marcher à tâtons et de s’arrêter où le hasard le pousse, devient capable de se bien conduire, il fuira les méchants, et, de cette façon, les hommes ayant intérêt à lui plaire, il fera que tout le monde aura de la piété, de la vertu et des richesses. Peut-on rien voir de plus avantageux, et ne trouves-tu pas que personne ne pouvait imaginer rien de plus beau que mon idée ?

MYRTO.

Mon père a raison.

CARION.

Mon maître parle d’or.

LA PAUVRETÉ.

Te voilà bien fier d’avoir trouvé cela, bon Chrémyle ! Mais tu n’as pas songé à ceci, que les hommes, devenant pieux par intérêt, ne seront plus que des hypocrites ! En quoi la vertu a-t-elle besoin de tant, de richesse, et où as-tu pris que la richesse donne le bonheur ? Que deviendrez-vous quand personne n’aura plus de désirs ? Qui se souciera d’apprendre les sciences, les arts et les métiers ? Qui voudra être forgeron, constructeur de navires, charron, tailleur, faire de la brique, blanchir la laine, préparer les cuirs ou fendre la terre avec la charrue pour obtenir les dons de Cérès, si chacun peut vivre dans une molle paresse ?