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inventé la fatigue et la sueur. Et, quant au vieux Saturne, qui mange ses enfants sans sel et sans ail, ce n’est qu’un barbare à qui je ne voudrais pas sacrifier mes vieux souliers. Le seul dieu que je tiendrais pour bon et honnête serait le dieu Trésor, et je lui demanderais, non la musique, ni la sagesse, ni la science, mais bien l’or et l’argent, sans lesquels l’homme n’est rien de plus que la bête.

CHRÉMYLE.

As-tu fini ?

CARION.

J’ai dit.

CHRÉMYLE.

Il y a du bon dans ton raisonnement. Jusqu’à ce jour, j’ai été un homme pieux et modéré. J’ai demandé aux dieux la paix et la concorde, qui font fleurir la terre et marcher le commerce. Les dieux n’en ont pas moins fait à leur tête. Nous voilà depuis plus de vingt ans en guerre avec le Péloponèse et accablés de tous les fléaux. Voilà nos campagnes ruinées, nos plants de vignes, dix fois arrachés, qui commencent à peine à donner du fruit, nos figues et nos olives qui pourrissent sur l’arbre parce qu’on ne fait plus d’échanges, l’argent qui ne circule plus, l’or dont bientôt nous aurons oublié la couleur, les ouvriers qui manquent à la terre parce qu’on en fait des soldats, la peur et le découragement qui nous ôtent le pain de la bouche et la charrue des mains… Eh bien, j’ai confié mes peines au grand Apollon, protecteur de la Grèce ; … je lui ai même fait, entre nous soit dit, d’assez vifs reproches, je l’ai menacé d’arracher les lauriers du petit bois planté par moi en son honneur. Alors une voix mélodieuse est sortie du plus épais des branches, et j’ai recueilli les paroles que voici : Ne t’éloigne pas de ta demeure, celui que tu attends viendra.

CARION.

Vous attendiez donc quelqu’un ?

CHRÉMYLE.

Personne.