Page:Sand - Theatre complet 4.djvu/184

Cette page n’a pas encore été corrigée

CÉLIA.

Qu’importe ? Il est beau, il est bon. Il ne nous dit rien, c’est vrai ; mais il nous donne la vie. On peut donc l’aimer sans lui demander son amour, puisqu’il se doit à tout le monde et à toutes choses : à la petite herbe comme au grand cèdre, et à vous comme à moi ! Qu’en dites-vous ?

JACQUES.

À cela, je n’ai rien à répondre ; ainsi, voilà que mon âme vous appartient ?

CÉLIA.

Votre âme, non ! vous n’avez pas d’âme, et votre corps, dépourvu de cœur, n’est plus qu’une ombre. C’est donc un fantôme que j’ai acheté ; et, si cela m’amuse, vous ne me quitterez plus que par mon ordre, vous ne ferez plus un pas sans ma permission, vous ne parlerez même plus qu’à ma fantaisie. Vous riez ?… Pourquoi riez-vous ?

JACQUES, riant.

L’idée est folle ! ma sombre existence !… un souffle de printemps !… Oui, le zéphyr est un éclat de rire, puisque le printemps est une fête !

CÉLIA.

Votre air dément tout à coup vos paroles ! Voyons, Jacques ! est-ce une vraie envie de rire ?

JACQUES, redevenu triste.

Non, Célia, c’est une envie de pleurer.

CÉLIA.

Ah ! quand je vous le disais ! une envie de pleurer votre âme défunte !

JACQUES, avec énergie.

Eh bien, pourquoi pas ? Elle était grande, cette âme dont vous raillez le désastre ! Elle embrassait l’univers dans ses rêves, elle eût voulu pouvoir embrasser le ciel dans une femme ! Elle s’effraye aujourd’hui de ce qu’elle est capable de souffrir, et frissonne en voyant au fond d’un abîme son passé sanglant et brisé derrière elle !

Il tombe sur un siége.