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son inspiration. Par un contraste étrange et qui semble incompréhensible, il a mis la grâce et la chasteté les plus divines à côté du plus effrayant cynisme, la douceur des anges auprès des fureurs du tigre, et la plus pénétrante douleur en face des intraduisibles concetti d’une audacieuse licence.

Il n’y a donc pas moyen de traduire littéralement Shakspeare pour le théâtre, et, si jamais il a été permis de résumer, d’extraire et d’expurger, c’est à l’égard de ce génie sauvage qui ne connaît pas de frein.

C’est un meurtre à coup sûr que de s’y résoudre, car, en face du texte, il est facile de reconnaître que ce n’est jamais son génie qui défaille, même dans les endroits où notre goût et notre délicatesse modernes sont le plus blessés. Quand il fait parler des êtres immondes dont on ne saurait même nommer la profession, c’est avec une énergie et une couleur de vérité telles, que l’on frissonne comme si on les entendait ; mais ce meurtre, il faut le commettre ou laisser le livre aux érudits indulgents.

C’est sur le plus doux de ses drames romanesques que j’ai osé mettre la main. Il y avait là, je ne dirai pas peu de propos trop vifs à supprimer, du moins pas de situations trop violentes ; mais le désordre de la composition, ou, pour mieux dire, l’absence à peu près totale de plan, autorisait pleinement un arrangement quelconque. Après un premier acte plein de mouvement, après l’exposition d’un sujet naïvement intéressant, où des caractères pleins de vie, de grâce, de scélératesse ou de profondeur sont tracés de main de maître, le roman entre en pleine idylle, tombe en pleine fantaisie et se fond en molles rêveries, en chansons capricieuses, en aventures presque féeriques, en causeries sentimentales, moqueuses ou burlesques, en taquineries d’amour, en défis lyriques, jusqu’à ce qu’il plaise à Rosalinde d’aller embrasser son père, à Roland de la reconnaître sous son déguisement, à Olivier de s’endormir sous un palmier de cette forêt fantastique où un lion, oui, un vrai lion égaré dans les Ardennes, vient pour le dévorer ; et, enfin, au dieu Hyménée en personne, de sor-