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tous deux, des hommes de la nature, comme dirait M. Aubert. On nous a transplantés et nous avons grand’peine à nous enraciner ; mais nous nous y ferons avec le temps, parce que tous deux nous aimons Edmée.

BERNARD, se levant.

Laissez-moi ! vous ne savez ce que vous dites !

PATIENCE.

Allons, allons, vous m’en voulez toujours, parce que je ne vous ai jamais fait d’excuses ; c’est une rancune d’enfant. Eh bien, écoute, jeune homme ! tu n’as pas vingt-cinq ans et j’en ai soixante. Je t’ai offensé autrefois, j’ai eu tort. Je t’en demande pardon. Êtes-vous content, mon gentilhomme ?

BERNARD, lui tendant la main avec une bonté brusque.

Oui, Patience !

PATIENCE.

Et, à présent, convenez, mon enfant, que vous aimez la sainte fille ! Oui, vous l’aimez comme un fou ! Je vois clair, moi ! Vous la suivez de loin quand elle vous empêche de la suivre de près. Vous marchez où elle a passé, vous vous arrêtez où elle s’est assise, vous arrachez les pauvres fleurs des champs qu’elle a touchées, et vous les écrasez dans vos mains avec colère quand vous ne les embrassez pas avec tendresse ; vous êtes malheureux, vous êtes malade d’amour ! Eh bien, c’est la jeunesse, ça ! c’est la vie ! c’est l’espérance ! c’est la bénédiction du bon Dieu !

BERNARD.

Moi, béni ? Tu rêves, mon pauvre vieux : on me déteste !

PATIENCE.

Écoute, écoute, Bernard Mauprat ! tu as de grands défauts, c’est vrai, mais tu as aussi de grandes qualités. Entre toi et le beau M. de la Marche, il y a la différence d’un chêne à un fétu. Tu es l’arbre qui grandit pour devenir le roi de la forêt, il est le brin d’herbe qui fleurit pour se dessécher au bout de l’an. Relève ton front, mon pauvre enfant. La pluie et le vent ne te battront pas toujours, crois-en la parole d’un vieux diseur de vérités ; la vigne est tendre, mais