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DANIEL.

Eh bien, qu’est-ce que vous lui diriez ?

LUCIE.

Je lui dirais qu’il n’a ni foi, ni loi, ni cœur, ni entrailles, ni honneur, ni religion ! Je le dénoncerais…

DANIEL.

Vous, Lucie ? Et que savez-vous si cet homme-là n’est pas bien malheureux, bien gêné, bien tourmenté ?

LUCIE.

Il ne l’est pas assez s’il résiste à sa conscience.

DANIEL, navré.

Pas assez !… pas assez !… On peut être mal avec sa conscience, Lucie, et n’être pas pour cela un coquin. Il y a bien des choses qui vous font pencher vers une action… mauvaise ! Ce n’est pas toujours pour soi-même qu’on fait le mal. Il y a des gens qui, par amitié pour quelqu’un… par esprit de famille… la crainte de voir leurs enfants dans la misère… À force d’aimer ses enfants, on se dit : « Eh bien, oui, je perds mon âme, mais ils seront heureux en ce monde : tant pis pour moi dans l’autre ! »

LUCIE.

Ah ! ne me parlez pas ainsi, Daniel ! mon cher Daniel ! Vous si bon, si honnête, vous me faites du mal ! C’est ainsi que ma mère raisonnait pour me faire accepter l’idée de dérober… Eh bien, cela me faisait frémir, et il y a eu des moments… que Dieu me le pardonne ! où j’étais prête à mépriser… non, mais à blâmer ma mère !

DANIEL, hors de lui.

À mépriser !… Tu l’as dit, Lucie, mépriser !…

LUCIE.

Mon Dieu ! de quoi parlons-nous là ? Occupons-nous d’Adrien.

DANIEL.

Adrien !… oui, je l’aimais !… je l’aimerais bien si… Mais… il ne vous aime pas, lui !