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STÉPHENS.

Des femmes, non. S’il y a, comme je le crains, un troisième larron… un… scélérat… Daniel paraît le croire ; est-ce que vous le trouvez net dans ses réponses, le bonhomme ? Il me paraît vague… et même troublé !

ADRIEN.

Non, c’est sa manière ; il a toujours été comme ça.

STÉPHENS.

Ça m’est égal ; on vous a dit qu’il redoutait Charlotte ; je l’examinerai, je veux l’examiner.

ADRIEN.

Lui ? Ah ! tenez, mon ami, ces recherches, ces soupçons, tout cela m’est antipathique, et je ne sais quelle fortune mérite qu’on la poursuive à travers de pareilles angoisses morales. Mon cœur, si épanoui, si confiant d’habitude, s’aigrirait à ce métier d’inquisiteur, et il me tarde d’avoir renoncé à toute espérance pour me retrouver moi-même. Pour aujourd’hui, du moins, n’y pensons plus, n’est-ce pas ? Nous avons donné toute la matinée aux affaires, donnons la soirée au repos et à l’amitié. (Stéphens s’est levé, Adrien lui a pris le bras, et ils remontent lentement jusqu’à la cheminée.) Ah ! qu’il m’eût été doux de vous recevoir, même dans cette maison appauvrie et dévastée, si mes souvenirs d’enfance ne s’y trouvaient empoisonnés par ceux d’une amère persécution ! (Il quitte le bras de Stéphens.) Mon père a voulu m’oublier, m’effacer de sa vie. Je l’aurais pourtant bien aimé, moi !… Tenez, Stéphens, voilà le fauteuil où je jouais, enfant, sur ses genoux. Ses pieds, alourdis par l’âge, ont usé la pierre de ce foyer, déjà creusée par ceux de mon aïeul. Les miens n’y laisseront pas de traces ; car je n’ai pas même le moyen de conserver cette retraite, et je ne suis pas destiné à la douce et tranquille vieillesse de ces honnêtes bourgeois ; famille honorable et respectée jusqu’au jour où une indigne créature y a apporté le scandale de son despotisme… Ah ! le mariage ! (Il descend, Stéphens le suit.) C’est l’effroi des jeunes gens comme nous, Stéphens, et pourtant le veuvage ou le célibat, c’est l’écueil de l’âge mûr. Il faut tou-