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grand travail auquel on se condamne pour conquérir des soucis infinis ? Oui, certainement, le mal est un fruit très-amer et que l’on ne cueille pas sans beaucoup de peine : aussi faut-il beaucoup de science pour l’expliquer et beaucoup d’art pour le peindre. J’avoue que cet art me manque et que ma paresse ne le cherche pas beaucoup. Mais en quoi ma recherche et mon goût, qui me poussent vers les délices du bon, seraient-ils incommodes et blessants sur la scène ?

Voilà ce que je me demandais, et ce qui ne m’a pourtant pas empêché de persévérer ; car les gens sont incorrigibles quand ils rencontrent, comme cela m’est arrivé plusieurs fois, d’admirables caractères et d’admirables amitiés qui leur font oublier en un jour des années de douleurs et des montagnes de déceptions.

Nous serions tous heureux, si nous étions plus justes et plus confiants dans notre appréciation des êtres excellents qui se rencontrent sur la terre. Je ne suis pas optimiste au point de dire qu’ils sont très-nombreux ; mais, si leur rareté fait leur excellence, pourquoi serions-nous ingrats envers le ciel qui nous prête un peu de sa lumière pour les voir et les comprendre ? Un juste pèse plus dans la balance divine que mille insensés épris de la chimère du mal. Le juste seul voit clair : donc, lui seul compte pour quelque chose, lui seul existe, lui seul est l’être réel et vrai ; et, si la raison admet ceci, si le cœur le sent, pourquoi donc serait-il défendu à l’art de le montrer ?

C’est par une profonde adhésion intérieure à cette logique si claire du sentiment que vous êtes, monsieur, un artiste si entraînant quand vous faites vibrer les cordes de l’enthousiasme. C’est que vous abordez alors une sphère de vérité où tous les tristes et pénibles raisonnements sur le positif s’écroulent et s’effacent comme de vrais rêves ; c’est que vous entrez dans cette vision du vrai que l’on appelle illusion romanesque, faute de réfléchir à la facilité qu’on a de le voir et à la nécessité charmante qu’on subit de l’aimer aussitôt qu’on l’a vu.