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abuser le moins possible de sa captivité, de son malaise et de sa politesse. Il faut réussir à lui présenter des personnages assez nature pour qu’il veuille bien les regarder et les écouter, et cependant assez concis pour qu’il ne trouve pas qu’ils parlent trop.

Le roman de Mauprat m’offrait de bonnes conditions pour essayer de résoudre cette difficulté. Racontée à la première personne par le héros de l’aventure, cette histoire montrait et décrivait bon nombre d’autres personnages et les faisait peu discourir. Ceux-là ne s’exprimaient pas eux-mêmes : on ne les entendait qu’à travers la narration nécessairement monotone de Bernard ; et Bernard, lui-même, nous disait souvent qu’il renonçait à nous traduire le langage de Patience ou les réticences de Marcasse, les sermons de M. Aubert ou les vivacités du chevalier.

Le drame où j’ai entrepris de faire parler ces humbles personnes a donc été pour moi une étude toute nouvelle, et où, malgré mon désir de suivre autant que possible un roman qu’on avait trouvé dramatique (puisque vingt personnes m’avaient demandé l’autorisation de le transporter au théâtre), j’ai dû chercher, dans le sujet et la donnée de ce roman, plusieurs scènes qui n’y sont pourtant pas. Suivre servilement un roman pour en extraire et en copier les scènes et le dialogue, serait très-agréable, en effet, à la paresse de l’auteur ; mais, outre que la paresse et la spéculation se tiennent de près et ne sont pas de bon exemple, il y a impossibilité réelle à faire une pièce par ce moyen. Les scènes d’un roman ne sont pas écrites pour le théâtre, et il est même nécessaire de n’en pas conserver un mot. Il se trouve, dans les romans, des situations infiniment prolongées qui plaisent au lecteur justement parce qu’elles l’impatientent, et qui ennuieraient le spectateur par les raisons que j’ai dites plus haut. Un personnage de roman peut rester pendant tout un volume à l’état d’énigme ; c’est un des moyens du roman que de ne pas se révéler trop vile. À la scène, on se dégoûte vite d’un personnage en chair et en os qui tarde à se faire comprendre. Il