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ANTOINE.

Oh ! ce n’est pas moi qui le veux : c’est la conscience, c’est l’honneur qui te le commandent.

VICTORINE.

Comment cela ?

ANTOINE.

Parce que… parce que… Voyons, ne tremble pas, ça me coûte à te dire, mais il le faut. Fulgence s’imagine que tu aimes quelqu’un… que tu ne dois pas aimer.

VICTORINE, vivement.

Cela n’est pas !

ANTOINE.

Je le sais bien, parbleu ! mais il se l’imagine, et d’autres pourraient se l’imaginer aussi. Alors, voilà ce qu’on dirait de toi : « Voyez-vous cette petite Victorine, la fille d’Antoine, qui n’est, après tout, qu’un premier domestique chez M. Vanderke, ne s’est-elle pas avisée de regarder plus haut qu’elle et de croire qu’elle allait épouser… »

VICTORINE.

Qui donc ?

ANTOINE.

Qui ? Le fils de la maison, rien que ça ! un jeune homme riche et noble, qui ne voit en elle qu’une petite camarade d’enfance. Eh bien, de ce qu’on est bon pour elle, de ce qu’on la traite avec douceur, elle a la sottise de se croire faite pour un grand mariage, et elle dédaigne ses pareils.

VICTORINE.

Oh ! mon papa, qu’est-ce que vous dites ! M. Fulgence croit cela ? on dirait cela de moi ?

ANTOINE.

Si tu ne te maries pas résolument et de bonne grâce, on le dira, on le croira. Et si M. et madame Vanderke venaient eux-mêmes à le penser, s’ils t’accusaient d’ambition, de coquetterie… de bassesse… car l’ambition c’est de la bassesse, quelquefois !