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REINE.

Vous, me déplaire ?… Oh ! je serais bien coupable de penser comme ça, monsieur Pierre !

PIERRE, tressaillant.

Monsieur !… Ah ! tenez quelqu’un ici veut me rendre haïssable vis-à-vis de moi-même ou de vous… Ce serait là un bien méchant service !

REINE, effrayée.

Mon Dieu ! on dirait que vous avez besoin de haïr et de soupçonner qui vous aime !

PIERRE.

Qui donc m’aime ?… Est-ce vous ?… Ah ! si c’était toi !… Reine, ma chère Reine ! n’aie pas peur de mon amour ! Je serai très-soumis, très-patient, je t’en réponds ; j’attendrai que tu me connaisses mieux. Écoute : si tu regrettes déjà la parole que tu viens peut-être de dire malgré toi… un bon regard seulement, un sourire qui me donne de la force et de l’espérance ! Je serai heureux pour toute la soirée ; nous irons ensemble là-bas ! tu danseras, puisque tu aimes la danse, toi !… Je sais que tu es jeune, mon Dieu ! je ne veux pas le gâter tes plaisirs… (L’examinant avec intention.) Tiens, tu danseras avec Valentin !

REINE, à part.

Valentin ! il doit être parti à cette heure : je peux parler… (Haut.) Pierre, je vas vous répondre. Je vous respecte, c’est pourquoi je ne veux pas mentir. Je vous aime comme mon frère ; mais on n’épouse pas son frère, et rien que cette idée-là fait peur. Je sais tout ce que vous valez, comme vous êtes généreux, et franc et bon pour les pauvres, et serviable pour les faibles. Tout le monde vous trouve une belle figure, et du savoir, et de l’esprit. Je suis fière et heureuse pour mon parrain et pour Suzanne quand on dit tout cela de vous. Eh bien, c’est raison de plus pour que je ne me sente pas votre égale : je suis trop enfant, trop simple ; je ne saurais pas causer avec vous, tenir vos livres, comprendre vos volontés. Je sens d’avance que je tremblerais toujours de vous déplaire… Tenez,