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ANTOINE.

Cependant, quoi ? Ma fille n’est pas riche. Mes économies, je te l’ai dit, sont fort peu de chose, et je n’ai jamais souffert que M. Vanderke augmentât mes appointements… Mais, toi, c’est différent ! Tu as ici une place assez importante, tu es plus instruit, par conséquent plus utile que moi. Tu y es déjà depuis deux ans ; et tu seras augmenté peu à peu en raison de tes services.

FULGENCE, venant au milieu.

Je ne l’exige pas. M. Vanderke vient de doter richement sa fille, et voilà son fils qui est d’âge à mener grand train… qui fera peut-être des dettes… M. Vanderke paye bien ses commis ; quand il y a surcroît de travail, il donne des gratifications fort honnêtes… Il y aurait injustice à demander davantage… et… je trouverais surprenant qu’il y songeât.

Il se remet au travail.
ANTOINE.

C’est bien ; je suis satisfait de tes sentiments comme tu l’es de ton sort. (Se levant et reportant à Fulgence les deux comptes qu’il lui a donnés en entrant.) Vous serez logés et nourris ici.

FULGENCE, se retournant avec un peu d’émotion.

C’est trop de bontés ! Mais, moi qui ne suis rien, qui n’ai rien !… je me sens honteux…

ANTOINE, descendant la scène.

Ne parlons plus de cela. Je te trouve assez riche de ton courage et de ton travail.

FULGENCE.

Vous êtes bien désintéressé, monsieur Antoine !

ANTOINE.

Désintéressé, moi ? Comment ne le serais-je pas ? comment aimerais-je l’argent ? Depuis le temps que j’en compte, que j’en reçois, que j’en verse, qu’il en passe par mes mains et sous mes yeux… c’est ici comme une rivière… je ne peux plus en être ébloui, et, quand on nage en pleine eau, on n’a plus soif. J’ai un patron qui est si bon, si généreux, que, si