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PÉDROLINO, venant s’agenouiller de l’autre côté du docteur.

Il faut bien que c’te bête mange son avoine : je lui en ai aboulé un demi-boisseau.

VIOLETTE.

On te l’a défendu ; ça la rendra poussive.

PÉDROLINO.

Bah ! les bêtes, quand ça mange, c’est comme les humains quand ça aime… Si on me disait que l’amour me fera crever je m’en moquerais bien !… Eh bien, la mule, c’est tout de même : quand je lui dis : « Brunette, tu manges trop, ça te fera mourir ! » elle me fait signe avec ses oreilles qu’elle n’en croit pas un mot… Mais dis donc, Violette, est-ce que je vas rester là tout seul avec lui ?

VIOLETTE.

Eh bien, un si brave homme !

PÉDROLINO.

Pour un brave homme, c’est un brave homme, un peu chien, un peu bourru, grandement maniaque et pas mal bête. (Le docteur ouvre les yeux et l’écoute.) Mais ça ne l’empêche pas d’être un bon chrétien, assez doux, très-raisonnable et pourri d’esprit.

VIOLETTE.

Comment arranges-tu tout ça ?

PÉDROLINO.

Parce que je l’aime toujours, encore que je ne le supporte pas souvent.

VIOLETTE.

Ça veut dire qu’il est si bon, qu’il ne peut pas se faire mauvais ! Tiens, tout à l’heure, je n’ai pas voulu le tourmenter, il aurait cédé, et je lui ai fait assez de dommage et de dégât en un jour : je lui ai cassé son saladier, je lui ai occasionné la visite de M. Léandre, je suis cause qu’il est sorti avant son heure ; c’est assez de tourment comme ça, et, plutôt que de lui en bailler encore, j’aimerais mieux perdre tout mon héritage.