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car, s’il en est de légitimes, il en est aussi de scandaleux : l’histoire est là pour l’attester.

Si le talent est tantôt accueilli, tantôt repoussé au théâtre ; si l’ineptie, aujourd’hui sifflée, le lendemain couronnée, y subit absolument les mêmes vicissitudes que le génie, peu importe, en vérité. De tout temps, le public des théâtres a été mobile, distrait, prévenu, impatient, glacé ou passionné au gré de mille circonstances fortuites qui n’ont rien de commun avec l’art, et qui ne l’empêchent pas de revenir, en temps et lieu, à des réparations éclatantes.

Nous ne conseillerons donc jamais à personne de prendre le succès du moment pour une preuve absolue, et nous plaindrons toujours un écrivain qui sacrifie sa propre conviction à cette chance douteuse et fragile.

Ceci posé, nous ne raisonnerons donc pas du théâtre, au point de vue de ce qui plaît ou ne plaît pas à la foule, de ce qui tombe ou réussit, pour parler la langue des combattants. Nous nous placerons sur un terrain plus calme et nous rappellerons le véritable but de l’art dramatique.

Nous demanderons ici la permission de renvoyer le lecteur à quelques pages insérées dans ce recueil et dont nous avons fait précéder la publication de Comme il vous plaira. Elles se résument ainsi : chaque soir, une notable partie de la population civilisée des grandes villes consacre plusieurs heures à vivre dans la fiction ; chaque soir, un certain nombre de théâtres ouvrent leurs portes à quiconque éprouve le besoin d’oublier la vie réelle, et ce besoin est si général, que très-souvent tous ces théâtres sont pleins. Cela existe depuis les temps les plus reculés, cela existera toujours. Jamais l’homme ne se passera du rêve ; sa vie réelle, celle qu’il se fait à lui-même ne lui suffit pas. Il faut qu’il l’oublie et qu’il assiste à une sorte de vie impersonnelle, représentation d’un monde tragique ou bouffon qui l’arrache forcément à ses préoccupations individuelles.

Ce besoin de spectacle qui prouve moins le vide ou le loisir de l’existence que la soif d’illusions inhérente à la vie hu-