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point de honte de vouloir imputer des torts à qui vaut mille fois mieux que vous ! à votre sœur, qui s’est sacrifiée pour vous ! oh ! nous le savons tous, encore qu’elle ne l’ait jamais dit, et, vous qui le savez mieux que personne, vous lui en faites un reproche ! à Molière ! Molière, dont votre infernale coquetterie a usé les jours, comme ces flambeaux que les enfants et les fous promènent et secouent à tous les vents, pour réjouir leurs yeux stupides des combats et des défaillances de leur flamme ! Vous prétendez être vertueuse, vous ? Vous profanez un mot qui ne vous convient point. Vous ne livrez pas votre cœur, vous n’avez pas de cœur ! mais vous prostituez votre froid visage à toutes les œillades impertinentes, votre oreille banale à tous les sots propos, vos heures fainéantes à toutes les promenades et parades où se complaît la vanité des coquettes. Oui, je vous le dis, vous êtes une coquette, et c’est ce qu’il y a de plus froid, de plus lâche et de plus méchant dans le monde.

Armande fait un pas pour s’en aller, Baron se lève et fait un mouvement. Il rencontre les yeux triomphants d’Armande, qui est restée comme impassible aux reproches de Duparc. Baron, effrayé, se recule. Armande perd son sang-froid et laisse voir sa rage et sa douleur.

ARMANDE.

Je méprise les injures ; mais, puisque j’y suis exposée dans ma propre maison, sans que Molière veuille m’accueillir comme sa femme et me protéger comme il le doit, je cède la place à ceux qui la veulent prendre. (D’un ton impératif et repoussant Brécourt et Madeleine, qui veulent la retenir.) Restez, restez, vous autres ! car je vous abandonne Molière, et c’est pour toujours ! Ah ! c’est bien moi qui puis dire comme l’un de ses personnages : « Ma maison m’est effroyable, et je n’y rentre point sans y trouver le désespoir !… »

Elle sort en cachant sa figure dans ses mains. Madeleine tombe pâmée sur une chaise, Baron retombe sur la table, la tête dans ses deux mains.