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pourquoi, moi, un ancien soldat, un vieux paysan encore rude du poignet, et plus fort que toi qui n’as jamais travaillé, je ne t’ai pas mis sous mon genou pour te casser la tête contre une pierre. Je veux bien te le dire, et me confesser à mon tour. C’est que j’étais aveugle, j’étais injuste envers ma fille. Oui, je lui faisais cette injure de croire qu’elle avait un restant d’amitié pour toi. Je lui en demande pardon aujourd’hui. (Il embrasse Claudie. À Denis.) Mais j’avoue que plus elle le niait, plus je m’imaginais que ses larmes versées en secret et son éloignement pour l’idée du mariage provenaient d’une souvenance et d’un regret. Cent fois j’ai pris ma rognée pour aller t’attendre au quart d’un bois. Cent fois j’ai jeté ma cognée derrière ma porte, en regardant ma fille qui disait sa prière, et qui, dans mon idée, la dirait peut-être pour toi. Je n’ai pas voulu venger ma fille, dans la crainte d’être odieux à ma fille, voilà tout.

denis, ému.

Dame ! écoutez donc, père Rémy, si j’avais pensé que Claudie eût encore des sentiments pour moi… Mais elle m’a dit elle-même ici, quand je l’ai revue à la gerbaude, qu’elle ne m’aimait plus… et différemment… je ne pouvais plus lui rien offrir.

rémy.

Elle disait la vérité et je le sais, moi. Je le sais d’aujourd’hui seulement. Voilà pourquoi tu me vois tranquille, parce que je me sens enfin libre de te punir.

fauveau.

Père Rémy, père Rémy ! apaisez-vous !

denis, remontant un peu.

Eh ! laissez-le faire. Je ne me défendrai pas contre un homme de cet âge-là. Je m’en irai plutôt !

rémy.

N’aie donc pas peur, Denis Ronciat. Je ne t’en veux plus. Je t’ai cru méchant et je vois que tu n’es qu’un lâche. La seule punition que je t’inflige, c’est celle de ma pitié. Va-t’en là-dessus, malheureux, je te fais grâce. Va-t’en avec ton ambi-