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Lorsque vous reviendrez à Paris, il aura repris son aspect des jours heureux, car il suffira de remplacer les quinquets par le gaz, et l’avoine par de la farine, pour amener ce résultat, mais si vous pouviez voir la grande ville aujourd’hui vous seriez navrée. Ce qui vous désolerait surtout, ce serait l’aspect de ces soldats autrefois si pimpants. Je n’aurais pas cru que le soldat français, même dans les revers, pût jamais se relâcher à ce point !

Nous sommes en pleine campagne électorale. Les affiches multicolores des candidats ont remplacé les proclamations de la Défense nationale. Qu’elles émanent de Battur ou du général Trochu, de Badouillard ou de Jules Favre, c’est exactement le même style, les mêmes idées, le même manque absolu d’esprit pratique et de sens commun. Écoutez, chère amie, il est impossible d’être plus entiché des institutions républicaines que moi, mais je dois dire que je ne connais rien qui ressemble moins à un vrai républicain qu’un républicain français ; et si, par suite d’un cataclysme providentiel, la terre pouvait s’entr’ouvrir et engouffrer tous les républicains que je vois à l’œuvre, je suis persuadé que du coup la République serait fondée en France !

Enfin, espérons que le pays saura profiter de cette terrible leçon. Bien du terrain se trouve déblayé, mais des semences vivaces sont encore enfouies dans ce sol fertile, et je crains fort de les voir germer et fleurir de plus belle. Cependant l’occasion n’a jamais été aussi favorable. Si la France n’en profite pas, c’est que décidément il n’y a plus rien à espérer !

Adieu, chère amie, écrivez-moi une longue lettre, sur gros papier, non cachetée, et jetez-la tout simplement à la poste.

À vous de tout cœur,

HENRY HARRISSE.

Mes meilleurs compliments à Maurice et à sa femme.