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voir ces petits corbillards, suivis d’une foule énorme, et portant écrit en grosses lettres : « Petite fille de six ans tuée par un obus prussien ! » Quand j’y songe, mon gosier se dessèche, et j’ai peine à me retenir, pour ne pas aller aux remparts avec les autres !

Nous sommes enfin en plein dégel — et il n’était que temps, car le bois manque. Quant au reste, je crois qu’en s’imposant des privations, on peut encore aller jusqu’à la première semaine de mars. Mais quel mois à passer ! La mortalité augmente dans de fortes proportions. Elle s’est élevée la semaine passée à près de quatre mille décès. Ce sont surtout les enfants qui meurent. De ma fenêtre, je vois, par une pluie battante, une longue queue de malheureuses femmes qui attendent depuis des heures devant la grille fermée d’une boutique, leur pauvre pitance de pain noir, mais je n’entends pas un cri.

La ville n’a jamais été plus paisible, plus résignée, plus forte, plus patriotique. Les clubs et les journaux avancés laissés à eux-mêmes ne sont plus ni lus ni fréquentés ; et, quant au bombardement, loin d’effrayer la population il n’a fait que l’affermir davantage.

Au Point-du-Jour, où les obus, l’autre jour, tombaient dru mais sans encore atteindre les fortifications, le talus était couvert de femmes et d’enfants, que ce spectacle amusait. Les Prussiens ayant rectifié leur tir, et les bombes se rapprochant, la garde nationale s’efforça, mais en vain, d’éloigner ces imprudents. Il vint à pleuvoir, et les femmes ouvrirent tout simplement leurs parapluies, sans bouger. La scène me parut assez typique.

Content d’apprendre que les Prussiens ne sont pas allés jusqu’à Nohant et que vous vous portez tous bien, je vous embrasse tous de tout cœur, et vous dis au revoir, car si vous ne venez pas à Paris, aussitôt le siège levé, d’une façon ou d’une autre, je me propose d’aller