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de Rochefort en cassant quelques réverbères après avoir chanté la Marseillaise.

Le Gouvernement émaille la foule de municipaux et de sergents de ville. Spectacle qui ramène la foule le lendemain.

Les carrières d’Amérique descendent la chaussée de Ménilmontant et prennent la direction du « mouvement ».

Les carrières d’Amérique, vous le savez sans doute, sont des fours à plâtre abandonnés, habités par une population considérable de voleurs, de filous, de vagabonds, et surtout de jolis petits messieurs aux cheveux coupés d’une certaine façon, portant presque tous une casquette et une blouse blanche. Les plus âgés ont la poigne forte et « protègent » ; les plus jeunes ont la voix frêle et la démarche nonchalante.

Cette vile canaille saccage tout sur son passage. Le boutiquier s’effraie et l’ouvrier regarde froidement.

Les révolutionnaires à l’état latent se concertent et tâtent le terrain. La foule des badauds donne une certaine couleur aux espérances des blanquistes.

Les troupes arrivent et on a l’esprit de cacher les sergents de ville. La grosse cavalerie sillonne les boulevards, à la grande joie des Parisiens. Les faubourgs s’arment de triques pour recevoir la « fripouille » ; et la fripouille se fait casser le nez d’abord par les ouvriers du faubourg Antoine, et ensuite incarcérer à Bicêtre et à la Conciergerie, où elle est pour les dix-neuf vingtièmes des arrestations.

Enfin tout est fini ; mais il est ressorti de cette échauffourrée une leçon qui est aussi une menace, et, j’ose le dire, une consolation : c’est que les dix-huit années de régime absolu n’ont pas tellement désossé la population qu’elle ne puisse à une heure donnée revendiquer ses libertés. La masse n’était pour rien dans ce mouvement,