Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/71

Cette page n’a pas encore été corrigée

goûte jamais. Cela arrive tout justement dans les pays de bruyère, où le bétail fait tout le revenu de l’habitant ; et, pendant que le paysan vit de racines, de châtaignes et de mauvais fruits sauvages, l’artisan qui mange de la viande la paye toujours trois fois, quatre fois plus cher que le paysan ne l’a vendue. C’est comme cela pour tout. Il n’y a pas une production qui échappe aux gros profits que les riches peuvent faire.

Le paysan sait se priver plus que l’artisan, parce qu’il ne travaille pas si fort à la fois et qu’il travaille au grand air. L’artisan, surtout quand il est à ses pièces, travaille plus que l’homme ne le peut supporter, et dans beaucoup d’industries, il travaille enfermé dans un mauvais air, où il périrait s’il se privait de viande et de vin. C’est ce qui vous fait croire que, s’il dépense davantage, il vit mieux. Eh bien, il vit encore plus mal. Il ne peut rien épargner, et, quand la misère tombe sur lui, il n’a pas la moindre ressource ni la moindre consolation ; car il ne reste pas, comme vous, dans une pauvre maison, au milieu de braves gens qui le connaissent et qui tâchent de l’aider. Il quitte la ville où l’ouvrage manque, il va dans une autre ville où il n’est pas connu, où personne ne l’aide. L’artisan est forcé, à cause de cela, d’être plus fier que le paysan. Le paysan n’est pas humilié d’être secouru par ses voisins ; on sait qu’il n’est point malheureux par sa faute., et qu’il a vraiment besoin de ce qui lui manque. L’artisan qui arrive dans une ville est toujours dans un état de suspicion ; les maîtres n’ont