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gnaient que la réconciliation ne fût qu’une cérémonie d’apparat, une formalité républicaine après laquelle le peuple rentrerait dans ses foyers en disant : « Nous nous sommes vus, nous nous sommes comptés. Nous étions tous là, nous avions des fusils. Nous sommes d’accord, parce que nous ne pouvons pas ne pas l’être. » La force paralyse la force. Le peuple est entré dans le règne de la force, c’est le principe de la souveraineté. Il est uni, comme les pierres d’une forteresse, par un ciment indestructible, et ce ciment, c’est l’esprit militaire.

Cela est vrai, mais ce n’est pas toute la vérité. Le peuple a la force matérielle, le sentiment militaire, la conscience de son droit, et son fusil représente la ferme volonté de le conserver. Mais le peuple a une autre force plus grande et plus belle encore que celle du droit. Il a le sentiment profond du devoir, et le devoir, pour lui, c’est la fraternité, c’est l’amour de son semblable. Le ciment de la grande forteresse humaine qui s’est déployée sous nos yeux, le 20 avril, c’est l’union des âmes, c’est la solidarité des cœurs.

Et, pour qu’on ne pût pas en douter, le peuple inventa tout de suite les détails d’une manifestation qu’aucun ordonnateur de fêtes publiques n’eût songé à faire entrer dans son programme. Le peuple est le plus grand artiste du monde pour ces choses-là. Il ne les cherche pas, elles lui viennent. Or, voici ce qu’il fit. Il couvrit ses armes de rubans et de fleurs. Il appela ainsi la poésie, qui n’est autre chose que l’expression du sentiment, au secours de la force. Les