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Mais il est certain aussi qu’une grande idée plane sur le peuple, non seulement ici, mais dans le monde entier, à l’heure qu’il est. Et cette idée dominera tout. Elle étouffera les réactions dans leur germe, elle triomphera de toutes les intrigues, elle sortira entière de tous les pièges. Cette idée, c’est que tous les hommes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs, et que l’égalité est la loi suprême, le salut final.

Voici comment, au moment où nous écrivons, l’idée s’incarne dans le fait. Il y a trois jours, tous les éléments de discorde avaient été provoqués, soit par la secte, soit au nom de la secte, soit sous le prétexte de la secte. La caste essayait de se reconstituer, ses baïonnettes tentaient de grouper autour d’elles les baïonnettes populaires. Elle jetait des mots d’ordre aux enfants du peuple, mots horribles, et que le peuple, depuis le 24 février, avait rayés, par un sublime élan, du vocabulaire républicain : À mort ! à la lanterne ! Telles étaient les douces paroles dont cette caste, si tremblante devant les souvenirs jacobins, faisait retentir les rues de Paris, les quais de la Seine et la sombre façade de l’hôtel de ville. Horrible éducation que cette caste voulait donner au peuple, au nom de sa prétendue supériorité de mœurs et de ce droit d’initiation tant défendu par ses coryphées de toute nuance sous la monarchie constitutionnelle. Hélas ! oui, nous avons entendu les enfants de Paris bégayer ces appels sanguinaires, sans comprendre qu’un jour pouvait venir où cette manière de siffler un auteur socialiste serait le signal d’une Saint-Barthélémy