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s’élançait vers l’hôtel de ville, croyant qu’on y égorgeait quelques membres du gouvernement provisoire. Une autre portion du peuple, désarmée, et par cela même aussi courageuse que la première, accourait aussi, avertie par je ne sais quelles criminelles rumeurs qu’on égorgeait une autre partie de la représentation nationale. Le peuple armé et le peuple désarmé se trouvèrent en présence, courant sur la même ligne, et là, se reconnaissant les uns les autres, ils se demandèrent la cause de leur concours et de leur effroi. L’alarme fut bien vite dissipée. Les deux portions du peuple marchèrent fraternellement au cri de Vive la République I et le gouvernement provisoire tout entier rassura la foule tout entière.

Pourtant deux idées distinctes conduisaient cette foule. Les ouvriers armés portaient sur leur bannière : Vive la République ! et marchaient au secours de la République faussement menacée. Les ouvriers désarmés portaient sur la leur : Vive l’égalité ! avec une définition formulée qui pouvait se prêter à diverses interprétations plus ou moins acceptées par l’unanimité populaire. Cette devise n’avait rien d’hostile, rien de menaçant pour la masse des dissidents. Ce n’est pas la première fois qu’une notable portion du peuple demande l’association libre et l’encouragement de l’Etat pour son principe de fraternité, l’État n’a ni le droit ni l’envie de s’y opposer. La masse, étrangère à l’adoption de certaines définitions, n’avait pas encore eu la pensée de voir dans cette sorte de grande secte née sous le souffle de la République, une menace à sa