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connaissances de vous traiter comme un chien enragé. Mon père, qui est prudent et assez craintif, non pour sa personne, car il est brave comme un ancien soldat, mais pour ses petites propriétés et pour sa tranquillité, fait attention à toutes ses paroles, et, à force de ne pas vouloir dire ce qu’il pense, il finit, je crois, par ne plus penser du tout. Voilà ce qui arrive à ceux qui ne veulent pas entrer dans les mauvaises querelles, et cela rend égoïste et même un peu jésuite. Je ne dis pas cela pour blâmer mon père ; car, moi-même, je sens que je n’ai pas plus de courage que lui, Comment pourrait-on être brave quand on se sent perdu au milieu de personnes qui sont toutes divisées entre elles, qui se méfient les unes des autres, qui ont toutes également peur, et qui, justement par la peur qu’elles ont d’être attaquées, sont toutes prêtes à tomber sur la première figure qui les inquiétera, ou que, de part et d’autre, on leur désignera comme un ennemi I On ne sait pas où l’on est, on ne comprend pas ce qui se passe ; nos gens de campagne ont la cervelle si troublée par tous les contes méchants et bêtes que leur font les bourgeois, et quelquefois les curés, qu’on dirait qu’ils sont tous devenus fous. On se trouve effrayé soi-même, sans savoir pourquoi, comme si on était véritablement dans un hôpital de fous, où il faudrait s’attendre à voir ces messieurs vous dire des sottises et vous faire des menaces sans aucun autre motif que leur maladie.

Tu vois, mon ami, que la vie est devenue bien triste. Il n’est plus question de se réunir, de causer