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Rassure-toi pourtant, ma bonne Gabrielle, tout s’est passé mieux qu’on ne s’y attendait. Les féroces de la bourgeoisie ont fait des arrestations, mais pas autant qu’ils l’auraient voulu. Ils se sont encore servis, de leur mieux, de la crainte et de l’étonnement que les communistes inspirent à beaucoup d’entre nous, pour mettre en prison des hommes dont le peuple aime et respecte le nom. Le peuple a laissé faire, ne sachant pas ce qu’il peut y avoir au fond d’une affaire si peu prévue et si peu éclaircie ; mais le peuple ne laissera pas sacrifier les innocents, et il fera attention aux procès qu’on va instruire, je t’en réponds. On ne s’est pas battu, et la bourgeoisie s’imagine qu’elle a sauvé la République, tandis qu’elle n’a sauvé qu’elle-même, en s’abstenant d’engager un combat.

Adieu, ma femme chérie. Je suis content de te savoir dans la petite maison de ton père, au milieu des arbres et des fleurs, avec nos chers enfants, qui ont du moins là de l’air, du pain et de l’espace pour courir ! En voyant Paris, si morne sous son air d’agitation, si brûlé par le soleil, si triste dans son prétendu triomphe de la République, je me ferais un crime de regretter le courage que j’ai eu de renoncer pour quelques semaines à mon bonheur domestique. Renais et repose-toi à la campagne, ma chère famille ! et, au lieu de t’attrister et de t’inquiéter, ma Gabrielle, aie du courage pour m’en donner dans cette séparation. Dieu veuille qu’elle ne dure pas trop longtemps. Jusqu’à présent, il n’y a pas à songer à trouver de