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— Il faut pourtant faire quelque chose, dit Coquelet. Les bourgeois se sont réunis, armés ; ils vont tuer du monde, et nous savons bien quel monde. Quant à moi, je me moque du rappel. On m’a retiré mon fusil, sous prétexte que je loge en garni ; heureusement, j’en ai un autre dans ma paillasse, un que j’ai pris en février et que je ne rendrai pas. Je m’en vais voir ce qui se passe là-bas. Si on ne fait de mal à personne, je ne bougerai point ; mais, si on tue, je tue !

— Sans savoir pour qui ni pour quoi ? demanda Vallier.

— Quand on tire sur le peuple, j’en sais toujours assez, répondit Coquelet. Je me moque du prétexte ; je n’attaque jamais, parce que je n’entends rien à la politique. Je ne connais ni Blanqui, ni Dieu, ni diable, dans ces affaires. Je ne sais qu’une chose : c’est que le peuple est malheureux et qu’on ne le nourrit pas avec des coups de fusil. Je viens de voir passer la garde nationale à cheval. Cela m’a réchauffé le sang. Ces messieurs faisaient siffler leurs sabres à mes oreilles et me regardaient, moi, qui ne leur disais rien, avec des yeux de chouette en colère. Tous les jours, dans toutes les affaires qui arrivent depuis deux mois, on est insulté du geste et du regard par des messieurs armés en guerre qui, en passant auprès de vous, crient n’importe quoi, avec l’intention de vous vexer. Je ne connais pas Gabet, mais je n’aime pas qu’en passant devant moi on me dise : À bas Cabet ! comme si on voulait me forcer à en dire autant, ou comme si on voulait