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blée ne l’a pas été en se défiant de lui. Allons-nous-en, je ne veux pas entrer là dedans.

Je fus étonné de voir Coquelet si sage, lui qui n’est certainement pas craintif. Je me dis :

— Si Coquelet recule, c’est que le peuple doit se retirer ; car, pour tout ce qui est du cœur et de la délicatesse, Coquelet ne se trompe guère.

Nous nous retirâmes de la porte et allâmes nous placer à l’angle de la rue de Bourgogne et de la place pour attendre les événements. Nous n’y étions pas depuis cinq minutes, qu’on vint nous dire :

— L’Assemblée entend raison ; elle accorde telle et telle chose ; la guerre pour la Pologne, l’organisation du travail, tels et tels à la tête du gouvernement.

— Ça n’est pas tout ça, me dit Coquelet ; allons chercher nos fusils.

Pour quoi faire, puisque l’Assemblée et le peuple sont d’accord ?

— Tiens, tiens, voilà l’accord I me dit Coquelet en me montrant sur le quai une muraille de baïonnettes qui brillaient au soleil et arrivaient sur nous au pas de charge. On va massacrer le peuple, allons chercher nos fusils…

— C’est juste, lui répondis-je. J’étais bien simple de m’imaginer qu’on pouvait s’entendre de cette manière-là. Le fait est que je ne sais pas où j’avais la tête ! Je crois que les cris, le soleil, l’étonnement et l’enthousiasme de la fraternisation m’avaient donné le vertige.

Je suivis Coquelet comme un somnambule.