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demandent des lampions, c’est la mobile qui passe, c’est l’arbre de la liberté qu’on plante, on ne sait auquel entendre. Et puis ce sont des délégations, des cérémonies, des prêtres, des soldats, des Italiens et des Polonais qui se permettent de chanter dans nos rues la Marseillaise de leur pays. Que sais-je ! on n’y comprend rien, et tout cela fait peur. Oui, osons le dire au gouvernement provisoire et au préfet de police, et que la France l’entende : nous avons peur ! Disons notre mécontentement, protestons contre ce qui se passe, il est temps de se montrer, nous avons peur ! »

— Vous avez peur ? c’est bien beau d’avoir peur en France à l’heure qu’il est ! C’est bien touchant, c’est bien noble, c’est bien français, et il y a de quoi se vanter ! La bourgeoisie conservatrice nous pénètre d’admiration ; elle a peur, et elle le dit ! elle cache son argent, elle a un sourire convulsif d’adhésion sur le visage, et les genoux lui tremblent. Elle paralyse le travail et elle reproche au peuple de ne pas travailler. Elle sème l’épouvante de proche en proche, elle fabrique de fausses nouvelles, elle a des visions, elle se plaint de la crise financière, et elle l’augmente tant qu’elle peut. Que voulez-vous ! elle a peur ! Elle menace et nuit lourdement, et, quand on lui demande pourquoi elle compromet le sort de l’État, pourquoi elle regrette un pouvoir qui lui était devenu onéreux et dont elle murmurait à mesure qu’elle le voyait s’affaiblir, elle répond qu’elle a peur, et s’étonne qu’un pareil mot n’éveille pas toutes les sympathies et n’at-