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l’égalité. Les matérialistes comprennent singulièrement l’état de nature chez l’homme ; ils veulent que cet état soit le même chez l’homme et chez l’animal. Le loup dévore sa proie, disent-ils ; le vautour surprend et déchire le passereau ; partout le plus fort fait la loi au plus faible. Ils vont même jusqu’à nous assimiler aux choses inanimées. Ils disent que l’ouragan brise le chêne, que le flot ronge la base du rocher, et de là ils concluent que l’homme fort doit opprimer l’homme faible, que l’homme habile doit tromper l’homme simple, que cela a toujours été et sera toujours, parce qu’un homme n’est pas plus qu’un loup, qu’une pierre, qu’une plante. Ainsi, disent-ils, l’état de la nature, c’est la force aveugle, c’est le hasard cruel, c’est la fatalité sourde et muette. L’égalité est un rêve contre lequel la nature proteste.

Ils sont à plaindre ceux qui raisonnent ainsi, et qui ne sentent pas que l’homme est autre chose que matière. Une pareille doctrine permet tous les crimes, autorise toutes les tyrannies.

Dans l’état de nature, l’homme, si on le suppose jeté seul et vagabond sur la terre, est encore un homme. C’est un être qui pense, qui comprend, qui invente, qui essaye, qui progresse. Dès qu’il rencontre son semblable, son instinct ne le porte pas à le détruire pour se retrouver perdu dans cette solitude qui l’attriste et l’épouvante. Le lièvre dans sa tanière a peur et ne s’ennuie pas, l’homme dans le désert a peur et s’ennuie. Ce n’est pas la faim seulement qui le tire de la caverne où il s’est réfugié, c’est le besoin