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point là un effort d’habileté, un travail d’artiste : c’est comme un instinct de grandeur qui fortifie l’âme du lecteur sans jamais l’endurcir. Au-dessus de toute cette passion qu’on retrouve bouillonnante en soi-même, au récit de tels événements, il se fait un certain calme dans les hautes régions de l’esprit, et on s’aperçoit qu’on a pu descendre dans ces abîmes sans en rapporter le vertige et l’épouvante.

Se retracer, jour par jour, heure par heure, cette tempête où l’âme humaine, frémissante d’horreur et de sainte colère, chercha la vérité dans un océan de larmes et de sang ; traverser tout ce sang, toutes ces larmes, toute cette fange, car la fange aussi fut soulevée sous les pieds des combattants ; affronter d’effroyables apparitions, passer sous l’échafaud hideux, voir des têtes qui s’élèvent au bout des piques et se promènent au-dessus de la foule exaspérée ; rencontrer la charrette fatale qui entasse les victimes pêle-mêle ; avoir eu des parents emportés ou meurtris par ces orages ; sentir jusqu’à la moelle des os le frisson que la génération d’hier lègue à celle d’aujourd’hui comme un contre-coup de ses immortelles souffrances ; revoir et ressentir tout cela, et pourtant se retrouver plus fort, plus convaincu, plus calme, plus humain après la contemplation émouvante de pareils tableaux, c’est le plus grand éloge que mon cœur puisse adresser à celui qui vient de les mettre sous mes yeux.

Novembre 1847.