Page:Sand - Questions politiques et sociales.djvu/153

Cette page n’a pas encore été corrigée

plaindre la misère humaine, il voudrait pouvoir épargner ceux qu’il a démasqués, et gémir sur la condamnation qu’il va porter lui-même.

C’est pourquoi le ton de l’historien philosophe quelque brûlante que soit sa noble colère, ne sera jamais celui de la haine. C’est pourquoi jamais il ne se plaira à marquer au front le coupable. Il le fera, tel est son devoir, telle est sa mission ; mais c’est un devoir triste, c’est une mission de douleur, et il sent gravement, noblement, toute l’amertume attachée à son rôle de justicier.

Ce profond sentiment de pitié qui se mêle au mépris le mieux fondé des actes iniques et des personnes méchantes, cette sorte de religieuse douleur à accomplir sa tache, est ce qui nous a frappé dans l’œuvre de M. Louis Blanc, avant même l’éclat d’un talent auquel il est impossible de ne pas rendre hommage. Nous nous croyons presque dispensé de louer ce talent tant il est incontestable, tant son prestige est irrésistible. À qui l’apprendrions-nous, maintenant que ce livre est dans toutes les mains ? rare privilège à coup sûr que d’être à la fois au plus haut degré écrivain brillant et sérieux, clair et profond, artiste puissant et puissant logicien ! mais ces éminentes qualités qui sont la condition d’un succès d’élite, comme d’un succès populaire, et qui l’ont à juste droit conquis, sont couronnées à nos yeux par des qualités plus rares et plus précieuses encore. Les brûlantes convictions, l’émotion d’un cœur généreux, l’amour enthousiaste de la vérité, voilà bien ce qui a donné la vie à ce talent de