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leur donner la vie en complétant la sienne, en la nourrissant, en la développant au contact de l’humanité. Vous l’avez dit, vous l’avez senti, vous le savez ; donc je me tais.

Mais à ceux qui pensent que M. de Lamartine est un homme froid et personnel, capable de s’assimiler toutes les vérités et de se parer de toutes les grandeurs intellectuelles, sans éprouver aucune charité, aucun patriotisme, aucun zèle véritable, nous dirons : Vous vous trompez ; vous ne le comprenez pas. Il comprend, donc il sent ; il sent, donc il aime ; il aime, donc il agit. Mais d’où viennent ces contradictions sans nombre, cet éclectisme sans issue et toute cette agitation sans résultat ? D’un seul travers, inhérent peut-être à sa nature de poëte ; d’une certaine frivolité naturelle, insurmontable, qui l’entraîne à la suite d’un billet doux, d’un papillon, d’un zéphyr, de moins encore, d’une distinction sociale ou d’un succès immédiat, tout au milieu de ses recueillements philosophiques et religieux, qu’il appelle modestement poétiques. Car il est modeste aussi, n’en doutez pas, et jamais plus que quand il vient de céder à l’impulsion souveraine de la vanité. Lisez sa Préface : c’est un chef-d’œuvre de grâce, de poésie, d’incohérence et de puérilité. Il n’y parle que de lui-même ; et c’est pour s’y placer toujours trop bas dans les choses où il est supérieur, trop haut dans celles où il ne l’est point. Oui, c’est un enfant (pie l’homme qui a écrit et signé une telle Préface ; mais un noble enfant, un enfant de génie ; et je ne crois pas que ce soit un motif pour être sévère envers lui, d’autant plus que cet enfant a déjà, depuis que nous suivons sa course vague et capricieuse, fait des pas de géant, tout en ayant l’air