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crire de pures sensations, on reconnaîtrait qu’il est très-jeune, et qu’il a le bonheur de vivre sous un beau ciel. Les ouvriers des villes industrielles n’ont pas le ciel de Toulon, ses horizons, le contraste de ses montagnes et de sa mer, pour les soutenir dans leurs labeurs. Aussi leurs accents, quand la poésie les inspire, sont-ils bien différents. La société, le malheur de leur condition, voilà leurs sujets ordinaires.

Les vers de Poncy, le maçon de Toulon, que la Revue Indépendante vient de publier, nous ont remis en mémoire et les poètes prolétaires que cite M. Arago dans la lettre qui les accompagne, et bien d’autres encore dont les noms méritent d’être ajoutés à la liste. Nous avons sous les yeux un volume de beaux vers pleins de charme, de grâce, et de mélancolie. L’auteur est une jeune ouvrière. Une poétesse (si nous pouvons employer ce mot qui mériterait d’être dans le Dictionnaire, et qui nous paraît aussi nécessaire maintenant que celui de poète), une poétesse justement célèbre, madame Tastu, a bien voulu servir d’introductrice à sa compagne. Dans des pages touchantes, elle remarque que la poésie, l’instrument poétique, est maintenant aux mains du peuple, des classes ouvrières, des prolétaires. Les poètes du xvie siècle, en effet, et ceux du commencement du xviie siècle, étaient presque tous sortis de la noblesse : Pierre de Ronsard, Jean et Joachim Du Bellay, le sire de Malherbe, le marquis de Racan, le sieur de Segrais, madame des Houlières, et tant d’autres. Plus tard, les poètes sortirent de la bourgeoisie : La Fontaine, Corneille, Racine, Boileau, Voltaire, naissent en pleine bourgeoisie, dans la bourgeoisie riche. Les poètes prolétaires de ces deux siècles, comme le menuisier de Nevers, par exemple,