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follement aux dérèglements de la fantaisie, l’artiste que la postérité nous contestera le moins, soutient une lutte ardente, amère, interminable peut-être, contre les hommes et contre les choses. Il a subi pendant quarante ans une héroïque misère. Il a vu ses œuvres sublimes critiquées avec amertume. Le public lui-même dévié de la bonne route depuis longtemps, privé de points de comparaison, perdu au milieu d’un débordement de mauvais goût et d’ignorance, s’est arrêté incertain, étonné de cette rude simplicité, et ne sachant si cet homme au génie austère, à la douloureuse patience, était un grand homme ou un fou. — Quant au chef-d’œuvre mystique de M. Ingres, qu’est-il devenu ? où est-il ? qui s’en inquiète ? Il est à Montauban. Qui le possède ? qui va le voir ? qui le sait ? La France n’est point artiste. Les artistes forment une classe à part dans l’État. Le peuple ne les comprend pas, les nobles les oublient, la bourgeoisie les paye et les corrompt.

Qu’il nous soit permis encore de dire quelques mots sur cette figure de Vierge par M. Ingres. Il nous semble qu’à l’exemple de ses maîtres chéris, M. Ingres a mis toute son âme, toute sa pensée, tout son génie dans cette personnification de la foi. Elle est grande, elle est forte, elle est empreinte d’une majesté un peu froide. Elle inspire peut-être plus de crainte que d’amour. Ce sentiment de l’artiste est plein de profondeur ; soit que sa religion porte l’empreinte des rudes labeurs et des longues épreuves de sa vie, soit que, faisant planer cette figure céleste sur la tête d’un roi, il ait voulu la montrer sévère, sans pitié comme la conscience, sans indulgence comme la justice. La vierge de Raphaël est pleine de charme, de tendresse