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sorte d’ivresse, en se levant brusquement et en étendant ses bras vers l’objet de son enthousiasme, c’est moi que vous voyez là ; c’est mon âme qui est dans cette femme et qui la fait se tordre et délirer ainsi ; ce dieu qui la possède, il est en moi aussi ; c’est le même dieu ; mais elle est pythonisse, et, moi, je ne le suis pas.

» Elle ne sait pas cela, elle ; mais, moi, je le sens bien peut être ! Ne voilà-t-il pas que je tremble, que mon sang fermente, que mon écorce craque de tous côtés et que je pleure comme elle ? Quel autre aurait ce pouvoir ? Pouvez-vous dire, Evan, que vous m’avez jamais vu pleurer ? Eh bien, à l’heure qu’il est, je crie, je sanglote, je parle, je m’agite, j’existe par tous mes pores, je m’épanche, je me livre, je me communique, je sors de ma prison d’airain, je brise le sépulcre glacé 011 la flamme divine a si longtemps dormi. Oh ! donnez-moi ma plume, je vais écrire… faites silence, je vais parler !… Attendez, attendez, voici mon génie qui plane sur moi ; écoutez, je suis le premier de vos poêles !…

Mais le rideau venait de tomber entre l’actrice et Mario, le lustre s’éteignit, et avec lui le génie du poëte. Évan éclata de rire ; Mario resta consterné d’abord, et puis il redevint inerte comme à l’ordinaire.

La puissante artiste qui venait de dépenser tant d’énergie à son profit lui avait tout repris en s’en allant.

Janvier 1837.