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dez-la… écoutez-la, Évan. Oh ! naïve ! naïve et passionnée ! et jeune, et suave, et tremblante, et terrible ! Comprenez-vous à présent qu’elle subjugue un pauvre cœur soutirant et infirme comme le mien !

— Je sais, Mario, que ton caractère est sombre et concentré ; on te reproche d’être hautain et méfiant, je crois plutôt que tu es timide.

— Je suis peut-être tout cela, dit Mario ; je ne sais de quels mots expliquer ce qu’il y a de froid et d’incomplet dans ma nature ; je ne sais rien exprimer, moi. Il y a sur mon cerveau, à coup sûr, une paralysie qui empêche mes sensations de prendre une forme expressive… Il y a des jours, voyez-vous, où, si je pouvais écrire ce que je refoule en moi d’énergie pour la douleur, la colère, l’amour ou la haine, je consentirais à tremper ma plume dans la dernière goutte de mon sang. Oh ! si l’on pouvait dire ce que l’on souffre, peut-être que l’on ne souffrirait plus t car un autre vous comprendrait, vous plaindrait et vous consolerait ; mais, moi, je ne peux jamais être compris qu’à demi, et cela ne me suffit pas. Ce que j’écris est terne et refroidi comme les impressions du lendemain. C’est un si pâle reflet de la pensée que la parole humaine ! Écrire, mon ami, c’est le tourment de la vie, c’est le supplice de quiconque sent encore son cœur dans sa poitrine, c’est une lutte sans repos entre le désir et l’impuissance, c’est l’ambitieux roulant toujours une pierre sur laquelle ne s’élève jamais le palais que son imagination a bâti. Ô Sysiphe ! pauvre poëte !

» Mais tenez, quand je viens m’asseoir ici, quand je me jette sur les banquettes de ce théâtre, opprimé que je suis par la violence de mon mal, brûlé par la lièvre, le cerveau douloureux et pesant, avec l’amertume cui-