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la chance de porter un navire ou de déraciner un rocher : ainsi de la foule humaine : elle s’agite et retombe quand elle ne rencontre pas les grands courants, ou elle tourne sans but sur elle-même quand elle plie sous les vents contraires.

Le jeune homme dont nous suivons l’éducation sentimentale à travers les déceptions d’une triste expérience ne serait pas un type complet s’il n’échouait pas par sa faute. Il n’a pas l’énergique constance des exceptions, les circonstances ne l’aident point et il ne réagit pas sur elles. Le romancier dispose comme il l’entend des événements de son poëme ; celui-ci ne veut rien demander à la fantaisie pure. Il peint le courant brutal, l’obstacle, la faiblesse ou l’inconstance des lutteurs, la vie comme elle est dans la plupart des cas, c’est-à-dire médiocre. Son héros est, par un point essentiel, semblable au milieu qu’il traverse ; il est tour à tour trop au-dessus ou trop au-dessous de son aspiration. Il la quitte et la reprend pour la perdre encore. Il conçoit un idéal et ne le saisit jamais ; la réalité l’empoigne et le roule sans pouvoir l’abrutir. Il ne trouve pas son courant et s’épuise à ne pas agir. Vrai jusqu’au bout, il ne finit rien et ne finit pas. Il trouve que le meilleur de sa vie a été d’échapper à une première souillure, et il se demande s’il a échoué dans son rêve de bonheur par sa faute ou par celle des autres.

Ce type si frappant de vérité est le pivot sur lequel s’enroule le vaste plan que l’auteur s’est tracé ; et c’est ici que le dessin de l’action nous a paru ingénieux et neuf. Ce moi du personnage qui subit toutes les influences et traverse toutes les chances du non moi, ne pouvait exister sans une corrélation continue avec de