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le milieu qui ont produit les individualités puissantes.

Heureusement ! car s’il nous fallait rester pétrifiés dans l’admiration des premières révélations de l’art, nous n’aurions pas un portrait historique ressemblant. La figure léonine de Condé serait une reproduction du Jupiter antique. Nous n’aurions pas non plus l’expression historique de l’art. La Diane de Goujon ne nous eût pas transmis l’idéal si particulier de la renaissance. Le maître nous eût donné une copie servile de l’art grec, c’est-à-dire qu’il n’eut pas été un maître.

Voilà bien des raisons qu’on ne conteste plus, et on s’étonne pourtant encore des choses nouvelles, on hésite avant de les admettre, Gustave Flaubert a dû débuter par un ouvrage de premier ordre pour vaincre certains préjugés. Le plus curieux de ces préjugés, c’est celui qui consiste à vouloir que la morale d’un livre soit présentée de telle ou telle façon, consacrée par l’usage. Si elle se présente autrement, fût-ce d’une manière encore plus frappante et plus incisive, le livre est déclaré immoral. Ô rangaine ! que ton règne est difficile à détruire !

Après madame Bovary, Gustave Flaubert a produit un terrible et magnifique poème, qui a été moins compris par tout le monde, mais que les lettrés ont apprécié à sa valeur. Salammbô est l’œuvre d’une puissance énorme, effrayante. C’est un monde gigantesque qui se meut et rugit en masse autour de figures monumentales. L’auteur aime à manier des légions. Il joue avec les foules. Après s’être concentré dans l’étude d’une bourgeoise pervertie, il a mis en scène les nations, les races qui s’entre-dévorent. Nous avouons que notre admiration est surtout, pour ce côté hardi