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tant sous ce rapport. Peut-être avais-je plus besoin de conseil que tout autre. Les siens m’ont ranimé et retrempé vingt fois et non pas seulement par rapport aux choses de l’art : il avait, au milieu de beaucoup d’erreurs et de préventions, un sens profond et admirablement généreux des choses de la vie. Son idéal était chevaleresque. Il avait représenté beaucoup de héros ; il était, à ses heures bonnes et vraies, le héros qu’il avait joué.

Tel je l’ai connu pendant trente ans. Il était difficile de ne pas se brouiller avec lui ; il était susceptible et violent. Il était impossible de ne pas se réconcilier vite ; il était fidèle et magnanime. Il vous pardonnait admirablement les torts qu’on n’avait pas eus envers lui, et cela était aussi bon et aussi beau qu’un pardon réel et fondé, puisque son imagination y allait de bonne foi.

C’est en réalité pour Bocage que la pièce des Beaux Messieurs de Bois-Doré fut faite, il y a six ans.

Pauvre grand artiste ! depuis des années il souffrait, il végétait. Il avait toujours autant de talent, il l’a bien prouvé ! mais il n’avait plus de bonheur. Frappé dans sa fortune, vaincu dans ses idées, il ne se plaignait qu’en secret à de rares amis. Ce n’était pas assez pour ce pur caractère de ne demander rien, il refusait tout. Ce grand citoyen, car c’était réellement un grand citoyen que Bocage, portait la douleur et la détresse avec une sorte de majesté théâtrale qui imposait le respect par sa sincérité.

Souvent ironique, mais d’une ironie faite d’enthousiasme, parfois misanthrope, mais d’une misanthropie faite d’amour, épris d’un sévère idéal, s’il exigeait beaucoup de ses amis, il exigeait trop de lui-même. Il