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avide d’action. René dit : « Si je pouvais vouloir, je pourrais faire ; » Obermann dit : « À quoi bon vouloir ? je ne pourrais pas. »

En voyant passer René si triste mais si beau, si découragé mais si puissant encore, la foule a dû s’arrêter, frappée de surprise et de respect. Cette noble misère, cette volontaire indolence, celle inappétence affectée plutôt que sentie, cette plainte éloquente et magnifique du génie qui s’irrite et se débat dans ses langes, ont excité le sentiment d’une présomptueuse fraternité chez une génération inquiète et jeune. Toutes les existences manquées, toutes les supériorités avortées se sont redressées fièrement, parce qu’elles se sont crues représentées dans cette poétique création. L’incertitude, la fermentation de René en face de la vie qui commence, ont presque consolé de leur impuissance les hommes déjà brisés sur le seuil. Ils ont oublié que René n’avait fait qu’hésiter à vivre, mais que des cendres de l’ami de Chactas, enterré aux rives du Meschacébé, était né l’orateur et le poëte qui a grandi parmi nous.

Atteint mais non pas saignant de son mal, Obermann marchait par des chemins plus sombres vers des lieux plus arides. Son voyage fut moins long, moins effrayant en apparence ; mais René revint de l’exil, et la trace d’Obermann fut effacée et perdue.

Il est impossible de comparer Obermann à des types de souffrance tels que Faust, Manfred, Childe-Harold, Conrad et Lara. Ces variétés de douleur signifient, dans Gœthe, le vertige de l’ambition intellectuelle, et dans Byron, successivement, d’abord un vertige pareil (Manfred) ; puis la satiété de la débauche (Childe-Harold) ; puis le dégoût de la vie sociale et le besoin